La création de l'homme

Michel-Ange - Plafond de la chapelle Sixtine - Rome


Nous SOMMES CERTAINEMENT ici en présence de l'œuvre la plus connue de Michel-Ange et l'une des plus achevées. Il avait 33 ans lorsqu'il en commença l'exécution. Cette fresque se trouve au plafond de la Chapelle Sixtine et s'étire pratiquement sur les treize mètres de la largeur de la voute.

Pour apprécier cette œuvre à sa juste valeur, il ne faut surtout pas oublier qu'il s'agit d'une fresque, autant dire d'un travail de peinture réalisé sur un enduit de plâtre frais dans le seul laps de temps autorisé par le séchage de celui-ci, soit un maximum d'une quinzaine d'heures ! Ce qui ne permet aucune retouche, ni repentir dans l'exécution.

Ce thème de la création de l'homme par Dieu a été très peu traité dans l'iconographie occidentale. Il l'est ici d'une façon magistrale et fait partie de notre imaginaire collectif depuis près de cinq siècles.

Deux personnages principaux sont en présence. Dieu, à droite, dans son œuvre de création, représenté sous les traits d'un vieillard somptueux et qui se penche infiniment vers sa créature; Adam, à gauche, allongé nonchalamment, sortant à peine du néant, dont l'attitude donne à penser qu'il condescend à recevoir la vie.

La main de Dieu se tend vers celle de l'homme pour lui insuffler la vie. Mais, trait de génie d'une totale vérité théologique, les deux doigts ne se touchent pas ! Par ce seul frôlement des mains du Créateur et de la créature, Michel-Ange a su représenter charnellement la liberté humaine qui seule décide d'achever, ou non, en elle, l’œuvre commencée par Dieu. "Dieu nous a créé le moins possible", affirmera quatre siècles plus tard Blanc de Saint Bonnet, comme pour expliquer par des mots ce que nos yeux comprennent au plafond de la Sixtine ! Les innombrables reproductions - et aujourd'hui surtout - de ces seules deux mains qui se frôlent sont là pour témoigner si nécessaire à quel point Michel-Ange a su figurer universellement ce que l'homme a de plus vrai au fond de lui !

Mais si les doigts ne se touchent pas, les regards par contre se croisent, - à quelques mètres de distance, c'est une prouesse ! - prouesse qui confère toute son intensité à l'acte créateur qui puise sa raison d'être dans ce cœur à cœur entre l'homme et Dieu.

A ces premiers instants de la vie de l'homme, il n’y a pas que la liberté, il y a surtout l'amour. Il n'est que de regarder le visage de Dieu le Père. Il est d'une bonté infinie : dans son regard se mêlent tendresse, indulgence, compréhension et comme une crainte de l'avenir... sans doute en raison d'une certaine pomme qui entraînera pas mal de pépins ! On ne se lasse pas de contempler ce visage du Créateur qui laisse à penser qu'il sera consolant de passer l'éternité en Sa présence. Ces vérités sur la personne de Dieu que nous présente Michel-Ange pénètrent le cœur et l'esprit ; elles portent naturellement à la ferveur et à la piété.

Mais cet amour se retrouve aussi dans le regard du premier homme qui, à peine créé cherche son Créateur et tourne d'abord son visage vers Lui, plein de confiance, car bien qu'ayant sans doute alors la science infuse, il ne semble pas bien savoir encore où il est, ni qui il est.

Lorsque Dieu crée, Il le fait avec somptuosité. Observez le corps d'Adam. C'est un chef d'œuvre, de proportions de musculature et de beauté. C'était le premier homme, sortant des mains du Créateur, non encore abîmé par le péché, il est dans la plénitude de sa nature. Le peintre connaît son travail. La représentation de la chair ne l'inquiète pas. Il est capable de rendre son moelleux avec magnificence et de lui conférer les modelés de ce qui est vivant.

Lové dans le bras gauche de Dieu, un petit ange regarde - il faut savoir apprécier la justesse de direction de ce regard qui se pose sur Adam avec curiosité cet être de chair qui vient d'être créé par surabondance d'amour et à qui Dieu va offrir la Création.

Surabondance d'amour divin qui destine une compagne à Adam parce qu'il "n'est pas bon qu'il soit seul". Pourtant Eve n'existe pas encore. La géniale astuce de Michel-Ange est de nous la montrer quand même. Elle est là, ravissante et pudique, blottie dans le giron de Dieu le Père, en puissance dans les intentions divines. Elle regarde avec curiosité celui que Dieu lui destine et semble le trouver à son goût. Cette scène est délicieuse. Elle est adorable cette petite Eve. Elle n'a pas vieilli d'un pouce et pourrait se balader dans les rues de Paris avec le succès qu'on imagine. Il faut apprendre à voir tous ces petits détails qui sont des chefs d'œuvre par eux-mêmes et concourent à la plénitude de l'œuvre.

Aujourd'hui, saturés d'images, on ne fait plus attention à ce qui compose ce que l'on voit. On s'arrête au premier coup d'œil, et à la seule appréciation du goût subjectif. Pourtant l'intelligence humaine a besoin de comprendre pour connaître, et de connaître pour aimer.

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